Quand, frappé traîtreusement par une grippe mauvaise
De celles qui abattent en plein vol les princes des comptoirs
L'heure sonnera pour moi d'aller sucrer les fraises
Dans des rades lointains du côté d'autre part
Quand, gavés de rouquin et d'apéros divers
Mes intérieurs demanderont à prendre leur retraite
Quand il rest'ra vraiment plus rien au fond du verre
Qu'il s'ra temps que j'm'éclipse par une porte discrète
Je partirai tranquille, vers le fin fond des cieux
Sachant que vous restez là, mes vieux gars, mes poteaux
Et que vous s'rez pour ma veuve un appui précieux
Attendu que, comme vous, elle ne boit guère d'eau
Je partirai confiant vu qu'ça n'date pas d'hier
Cette sympathie gaillarde que vous vous témoignez
Ça fait quelques années que vous êtes ses grands frères
Ses tontons toujours prêts à l'emmener en virée
Ouais, pendant que je mire, que je soupèse, méthodique
Que je hume et que je goûte, qu'en un mot j'étudie
Tout ce qui peut se boire, vous videz des barriques
Avec ma tendre moitié aux quatre coins de Paris
Je partirai tranquille puisque vous savez tout
À force, de ma femme: les chansons qu'elle préfère
Ses blagues favorites et l'endroit dans le cou
Où il faut l'embrasser si l'on compte lui plaire
Je partirai rassuré vu qu'à ma connaissance
Elle s'est jamais enfuie quand vous la taquinez
Qu'elle n'est pas du genre à repousser vos avances
Et qu'elle se gênera pas demain pour continuer
Ah, la brave conjointe, ah, l'aimable personne
Qui, pour m'aider à tout quitter sans un regret
S'ingénie à m'prouver que j'manquerai à personne
Et que sans moi la vie va joyeusement continuer
Je partirai tranquille, vous laissant le champ libre
J'entends déjà vos "Ouf" et vos "C'est pas trop tôt"
Je trouverai là-haut un certain équilibre
Qui, ma foi, ici-bas m'a souvent fait défaut
M'en aller avant vous vers les vides étranges
Ça n'me dérange pas, ça m'honore plutôt
Eh oui, je serai ainsi le premier chez les anges
Et là, mes beaux messieurs, je vous coiffe au poteau
Ça me donnera le temps surtout de savonner votre planche
De préparer l'opinion, de tailler vos costards
De dire un mot au Barbu, de mettre au point ma revanche
Et pour ça, croyez-moi, il n'est jamais trop tard
Je partirai heureux vous préparer la place
Ne me remerciez pas, le plaisir est pour moi
En enfer, vous verrez, la bouffe est dégueulasse
Le pinard bouchonné, j'vous dis rien du climat
Et pour couronner le tout, des meufs y en aurait pas
Enfin c'est ce qu'on m'a dit... m'alors là, j'y crois pas
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