Tu m'as dit "garçon manqué"
J'ai entendu "fille manquante"
Une fille et garçon raté
Un garçon et fille absente
Garçon, fille j'pensais qu'c'était plié à la naissance
Mais ils sont revenus à la charge au début d'mon enfance
Courir, taper, grimper, ramper, casser, salir, c'est garçon
Mon père le savait pas, il m'a élevée à sa façon
Il voulait juste un enfant confiant, sûr de lui
Il m'a fait faire du vélo sans petites roues et courir sous la pluie
J'le sentais fier quand j'rentrais les cheveux pleins d'boue
Avec des cratères rougis à la place des genoux
C'est qu'il voulait pas qu'j'm'amuse moins par peur de trouer mes collants
Et qu'une peur se surmonte moins bien quand on est plus enfant
Après c'est vrai qu'au terrain vague, j'voyais qu'des garçons et des papas
Mais j'voyais surtout des mômes qui voulaient bien jouer avec moi
Alors au sport en primaire, on m'mettait avec les garçons
Mais l'plus faible des garçons n'allait pas chez les filles
Parce que dans mon sens, ce mercato était une distinction
Mais que dans l'autre, c'était traiter le garçon de fragile
C'est là qu'ça a commencé
Les regards et les surnoms, "garçon manqué"
J'l'ai intégré sans trop m'poser d'questions
Puis, l'adolescence m'a appelé frère, camionneuse ou bien gouine
On demandait à ma mère pourquoi j'avais pas d'copines
Tu m'as dit "garçon manqué"
J'ai entendu "fille manquante"
Une fille et garçon raté
Un garçon et fille absente
J'ai mis du temps à comprendre
Pourquoi il fallait trancher
Comment l'monde s'répartissait en une dualité sans interstice
Fille, garçon
Identité codifiée, fringues, fournitures scolaires
Séparées au supermarché
Aujourd'hui, j'y suis enfin
La silhouette féminine que m'avait prédit la pédiatre
Et promis les magazines
Fille manquant à l'appel a fini par pointer
Alors pourquoi dans tout c'que j'fais, on continue à arbitrer
J'parle fort avec une voix grave
Une voix forte, c'est garçon
Sauf quand c'que j'dis, c'est pas trop con
Alors là c'est bon, j'suis une fille forte en affirmation
Une future femme qui devra juste adoucir son ton
J'embrasse un garçon, c'est fille
J'embrasse une fille, c'est garçon
Parce qu'une fille qui aime fille, c'est une contrefaçon
C'est une fille qui fuit par dépit, par phobie des garçons
Trop laide ou trop conne pour attirer les bons
Fille ne te fait l'amour
Fille, on la prend
La nuance est faible, mais quand on est fille, on l'apprend
Mais fille veut pas qu'on la prenne
Fille veut qu'on la prenne en compte
Fille veut qu'on prenne la peine d'essayer de comprendre
Pourquoi fille est objet passif
Et pourquoi garçon est celui à qui, dans l'intime, on confie l'action
Celui qui prend par derrière
Sur la table ou par surprise
Pourquoi, pour du plaisir mutuel, garçon prend
Et fille est prise
Alors quand tu m'dis que j'suis fille
Tu n'fais par référence à mon inné chromosomique
Mais bien à des tendances
Traits d'caractères, goûts, penchants, passions, facilités
Sinon tu pourrais pas m'dire que j'suis fille mais pas assez
On nous calque nos désirs, nos habilités
Et on statue par avant sur notre désirabilité
On est filles de fil en aiguille
Car c'est comme ça qu'on nous tisse
Fille ou garçon, des attributs d'un sujet factice
Et si tu penses que mon combat n'en vaut pas la peine
Moi j'suis fille depuis le début, c'est à toi qu'ça pose problème