On croit que nos aînés ont vécu sans histoires Quand on les voit sourire sur des photos jaunies On serait bien surpris en lisant leurs mémoires Si d'aventure, un jour, ils en avaient écrits Il était menuisier, travaillait à l'ancienne Sculptait le fil du bois dans un geste parfait En caressant le buis, le merisier, le chêne Il en savait les veines et les moindres secrets Il était amoureux de sa jeune promise Mais pour sauver l'honneur d'un coeur au désespoir Il a dû épouser, très vite et sans église Celle qui portait le fruit de leurs amours d'un soir Elle était couturière, délicate, élégante Et dessinait des robes à la mode à Paris Tâchant d'être à la fois mère, épouse et amante Elle s'accommodait mal d'une moitié de lui Bon père et bon époux, mais souvent loin des nôtres Dévoré de remords, il partageait ses jours Entre les pleurs de l'une et la douleur de l'autre Son chemin jalonné de deux chagrins d'amour L'une suivait de loin rougeole et varicelle D'un bébé dont jamais elle ne pourrait guérir Et l'autre sentait battre en silence, auprès d'elle Un coeur emprisonné qui rêvait de s'enfuir Chez nous, chacun connaît cette histoire secrète Ce deuil, dont la blessure ne s'est plus refermée Le chagrin d'une enfant qui pleurait en cachette Et que rien depuis lors n'aura plus consolée D'avoir vu sa maman, les yeux rougis de larmes Attendre le retour d'un mari, d'un amant Espérer sans y croire, et puis rendre les armes Avec le sentiment d'avoir gâché son temps C'est ainsi qu'il en va des secrets de famille Des serments qui s'effacent à peine murmurés Du rêve qui s'enflamme entre deux coeurs fragiles Au feu qui les consume, en ayant tout brûlé On serait bien surpris, en croisant leurs regards Sur les photos sépia qu'on retrouve aujourd'hui D'avoir cru nos aînés tranquilles et sans histoires Alors que la souffrance aura brisé leur vie Et miné le destin de ceux qui ont suivi